LE MAÎTRE DES ROMANS D’ESPIONNAGE EST PARTI

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Romancier à succès, ex-espion, l’écrivain britannique John Le Carré est décédé à l’âge de 89 ans.

“Plus un homme a d’identités, plus elles expriment ce qu’il veut cacher.” Le maître britannique du roman d’espionnage John Le Carré, qui a vendu plus de 60 millions de livres dans le monde (25 romans et un volume de mémoires “The Pigeon Tunnel”), est décédé à l’âge de 89 ans d’une pneumonie, a-t-on appris dans la nuit de dimanche à lundi. “C’est avec une grande tristesse que je dois annoncer que David Cornwell, connu dans le monde sous le nom de John le Carré, est décédé après une courte maladie (non liée au Covid-19) en Cornouailles samedi soir, le 12 décembre 2020”, a déclaré son agent, Jonny Geller, PDG du groupe Curtis Brown, dans un communiqué publié sur le site internet de cette agence artistique basée à Londres.

John Le Carré était devenu célèbre dans le monde entier après la parution de son troisième romanL’Espion qui venait du froid (1964), qu’il écrivit à 30 ans, “mangé par l’ennui” que ses activités de diplomate à l’ambassade britannique de Bonn en Allemagne lui procuraient. Le roman, récit d’un espion britannique sacrifié pour un ancien nazi devenu communiste et “taupe” des services britanniques, vendu à plus de 20 millions d’exemplaires dans le monde, raconte l’histoire d’Alec Leamas, un agent double britannique, passé en Allemagne de l’Est.

“Entrer dans cette société secrète m’a apporté une protection. Moi qui étais à la dérive, j’ai reçu l’accolade du monde secret. Pour la même raison que l’on entre dans une société criminelle, ce sentiment de supériorité, quand vous marchez dans la rue, en vous disant ‘je sais des choses que tu ne sais pas'”, racontait le romancier à François Busnel, dans la Grande librairie en 2018.

Trahi par “la Taupe”

Né le 19 octobre 1931 à Dorset, David John Moore Cornwell se rend en Suisse à la fin de son adolescence pour y apprendre l’allemand. C’est à ce moment-là qu’il est repéré par des espions britanniques. Il était alors “disponible”“sans attaches particulières”“avec un père délinquant”, expliquait-il en 2018. “Ils sont très doués pour identifier, flatter, recruter et utiliser les gens. Ils apprécient une touche de criminalité, votre côté charmant.”   

Après avoir brièvement servi dans les rangs de l’armée britannique, il devient informateur du service de renseignement intérieur – le MI5 – à l’université d’Oxford, où il poursuit des études d’allemand.  Il rejoint ensuite le MI6 et est envoyé en Allemagne de l’Ouest au début des années 1960

Bien loin du glamour de James Bond, les héros des romans de John le Carré étaient enfermés dans la jungle des miroirs du renseignement britannique. Trahi par l’agent Kim Philby parti pour Moscou en 1963, le Carré, devenu trop célèbre pour rester espion, se consacre ensuite à plein temps à l’écriture et s’intéresse aux trahisons des espions britanniques, qu’il dépeints comme aussi impitoyables que leurs rivaux communistes. “Je n’étais pas un très bon espion, je réfléchissais trop, je me posais trop de questions sur des choses que je n’aurais pas du mettre en cause”, s’amusait-il.

“Je suis juste un écrivain, qui fut brièvement un espion”

Après la chute de l’Union soviétique, il se focalise sur ce qu’il considère comme la corruption dans un ordre mondial dominé par les États-Unis, mettant en scène un chaos parfois controversé dans l’après-Guerre froide. John le Carré s’était opposé à l’invasion américaine en Irak en 2003, et sa colère à l’égard des États-Unis était évidente dans ses derniers livres, moins incontournables que ses romans sur la Guerre froide mais au succès jamais démenti.

L’influence de l’écrivain était telle que le dictionnaire Oxford l’a crédité de la paternité de nombreux termes d’espionnage, tels que “taupe”, qui donnera son titre à un roman de 1974. Les espions britanniques ne supportaient pas que Le Carré décrive le service secret – le MI6 – comme incompétent, sans pitié et corrompu, mais ils continuaient à lire ses romans.

“Nous sommes nombreux à beaucoup lui devoir”

Le romancier, qui n’écrivait qu’au stylo, “détestait” le téléphone et “ne savait pas taper” vivait sur une falaise de Cornouailles, fuyant les grandes villes. Il laisse derrière lui une femme et quatre fils. “C’est avec une grande tristesse que nous devons confirmer que David Cornwell – John le Carré – est décédé d’une pneumonie samedi soir après une courte bataille contre la maladie”, a annoncé sa famille. “Nous avons perdu une grande figure de la littérature anglaise”, a déclaré son agent, louant son “grand esprit”, sa “gentillesse”, son “humour” et son “intelligence”.

Pourquoi ce nom d’emprunt ? Pas vraiment d’explication à part celle de devoir, à l’époque où il travaillait encore au bureau des Affaires étrangères, utiliser un autre nom. “On m’a dit de choisir un nom de plume, alors je suis allé voir mon éditeur anglais, il m’a dit de choisir quelque chose de très simple, anglosaxon. Et puis j’ai choisi John Le Carré et la vérité c’est que je ne sais pas d’où vient ce nom”, racontait-il à Bernard Pivot en 1989. “Mais la vérité est tellement ennuyante que j’ai inventé, pour les journalistes, une histoire qui raconte que, dans un autobus de Londres, j’ai vu un magasin de chaussures qui s’appelait comme ça. Sauf que c’est un mensonge !”

Parmi ses succès, plusieurs ont connu une adaptation sur grand écran ou pour la télévision, à l’image de “La Taupe” en 2011, avec l’acteur britannique Gary Oldman dans le rôle-titre. “Ses personnages étaient profonds et habilement construits… Jouer le rôle de George Smiley a été un des sommets de ma carrière. Nous sommes nombreux à beaucoup lui devoir”, a déclaré l’acteur.

Dans son dernier roman, paru en octobre 2019, l’europhile John Le Carré dressait un portrait sans concessions du Premier ministre Boris Johnson dépeint en “porc ignorant” et qualifiait, c’est d’actualité, le Brexit de “folie”.

Source : France Inter

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